« L’Allemagne protègera son arrière, et tout particulièrement son industrie de guerre et les installations destinées au ravitaillement du front. Il a été créé à cet effet, des zones dites «Todeszonen» (zones de mort) dans lesquelles toute personne non autorisée est immédiatement abattue. Les prisonniers de guerre évadés qui pénètreront dans ces zones de mort, y laisseront leur vie. Ils sont donc constamment menacés d’être pris pour des agents et des groupes de terroristes ennemis.
Aussi, nous vous mettons instamment en garde contre de nouvelles tentatives d’évasion !
S’échapper des camps de prisonniers de guerre, comporte maintenant un terrible danger.
Les chances de s’en tirer avec la vie sauve, sont à peu près nulles.
Tous les détachements de police et de garde ont reçu l’ordre strict de faire immédiatement usage de leurs armes contre tout étranger qui se rendrait suspect sous quelque forme que ce soit.
S’évader n’est donc plus un sport ! »
Cette déclaration fut lue dans notre kommando le 7 avril 1942. Deux de mes camarades avaient déjà préparé leur évasion. Ils me proposèrent de les accompagner, je les remerciais vivement. A la tombée de la nuit, en sautant de toit en toit, nous avons gagné la sortie de l’usine pour aller prendre à la gare de Stuttgart, un train de charbon à destination de la France, mais nous fûmes découverts dans nos cachettes au petit matin et emmenés en prison. Quand le nombre des évadés fut suffisant, un convoi fut formé pour Rawa-Ruska, où nous arrivâmes le 4 mai par une violente tempête de grésil.
La création de ce camp ne ralentit pas le nombre des évasions. Le nombre de déportés y fut bientôt de 15.000 à 20.000 hommes. Quelle vie y menaient-ils ? Elle est décrite dans un grand nombre d’ouvrages. Contentons-nous de ces deux paragraphes, extraits de « L’Historique du camp de Rawa-Ruska » paru le 12 mai 2003:
« Aucun des bâtiments n’était pourvu d’eau, de lumière, de chauffage, de latrines. Il n’y avait ni paillasse, ni paille, ni couverture. Les hommes couchaient à même le sol ou sur des bat-flancs à trois ou quatre étages entre lesquels ils pouvaient à peine se tenir assis. Les latrines étaient constituées par de grandes fosses à ciel ouvert. Il n’y avait qu’un seul robinet d’eau pour tout le camp (eau non potable). Les jours de pluie ou à la fonte des neiges, la cour n’était qu’un vaste bourbier. Le sol, les murs, les planches des quelques bat-flancs étaient couverts de vermine.
Aucune mesure d’hygiène ne fut prise !
Il convient de préciser qu’à l’arrivée du premier convoi de Français, le 13 avril 1942, ceux-ci découvrirent des traces sanglantes, des éclats de cervelle et des cheveux collés au sol et aux murs, montrant la cruauté déployée par les Allemands envers les soldats soviétiques. Ils durent nettoyer ces lieux avec des moyens de fortune tels des branchages. Les derniers cadavres de ces malheureux avaient été transportés hors du camp par des Juifs sous la surveillance de S.S. Ils furent vraisemblablement acheminés vers la forêt de Wolkkowice, à environ 2kms de Rawa-Rusaka, où furent découvertes deux fosses communes de 8.000 et 7.000 prisonniers de guerre soviétiques, comme le signale, dans un rapport des 24/30 septembre 1944, la « commission principale d’enquête sur les crimes hitlériens en Pologne » du ministère public de l’URSS. »
La vie, à Rawa-Ruska, n’avait rien de commun avec celle des déportés d’Auschwitz. D’après les Conventions de Genève concernant les prisonniers de guerre, les officiers ne devaient pas travailler, les hommes de troupe devaient travailler, les sous-officiers pouvaient choisir : travailler s’ils le désiraient, ou rester libres de leur temps dans des stalags comme les officiers. A Rawa, il y avait beaucoup de sous-officiers. Pas de travail forcé. Les corvées étaient faites par des hommes de troupe. Les responsables du camp avaient pour consigne de nous affaiblir le plus possible par la faim et par la soif. Churchill disait de Rawa qu’il était le camp de la goutte d’eau : un robinet en plein air pendant quelques heures pour 15.000 à 20.000 hommes. Ils avaient aussi pour consigne de multiplier les fouilles lors de longs rassemblements pour déceler les évasions.
A tout cela nous réagissions selon notre tempérament, notre culture. Je faisais partie d’un mini-club littéraire, d’une dizaine de membres. Les réunions commençaient par l’exposé de l’un d’entre nous. J’ai fait le mien sur « la poésie pure » à partir d’un article d’Henri Brémond commentant le beau vers :
« Et les fruits passeront la promesse des fleurs »
signifiant simplement « la récolte sera bonne ». A la fin du mois de juillet, j’ai eu à choisir, comme tous les sous-officiers, entre le retour en Allemagne ou le départ pour un petit camp récemment créé en Pologne pour les sous-officiers réfractaires au travail, près de Cracovie : Koberzyn, pour 4 à 5.000 hommes, semblable en tous points à un Oflag (camp pour officiers). J’ai choisi Koberzyn.
Mais si la vie était dure au camp, elle l’était beaucoup plus dans les kommandos. Dans l’un de ces kommandos, des prisonniers avaient réussi à creuser une longue galerie débouchant dans des prés. Ils furent plus d’une soixantaine à s’évader, un grand nombre d’entre eux furent repris et fusillés sur le champ.
Les consignes données étaient claires : tous les déportés de Rawa devaient y mourir. Cela a été dit au procès de Nüremberg le 15 septembre 1946 par le Colonel H. Borck, détenu condamné à mort : « J’étais chargé par l’Armée de créer des camps spéciaux pour les « terroristes » français et évadés de guerre repris. Je devais donc déporter le plus loin possible à l’Est, tous ceux qui pratiquaient cette forme de rébellion contre mon pays… Je mobilisais les wagons à bestiaux nécessaires, et tous les bâtiments désaffectés pour regrouper tout le monde en Galicie, et je choisis Rawa-Ruska comme lieu de rencontre. Je sais bien, Monsieur le Procureur, qu’aux assises de Nüremberg l’on m’a reproché l’état d’insalubrité de ces bâtiments, le manque d’eau, les brutalités excessives… mais vous avez lu probablement Clausewitz… En temps de guerre, seule l’efficacité compte… Désormais, ce fut Himmler en personne qui me dicta mes ordres… Rawa-Ruska restera mon œuvre, j’en revendique hautement la création, et si j’avais eu le temps de la parachever, aucun Français n’en serait sorti vivant. J’avais reçu des ordres secrets d’Himmler, d’anéantir tous les terroristes français. La Galicie devait servir de tombeau à la mauvaise graine des stalags. Du reste, à Nüremberg, vous aviez dans votre dossier ces ordres confidentiels. Je l’aurais fait si le temps ne m’avait manqué…. »
En ce qui concerne la vie des déportés au camp dans les premiers mois de leur détention, c’est Churchill qui prit leur défense, informant les autorités responsables du camp, que les soldats allemands détenus en grand nombre en Angleterre seraient traités de la même façon que les déportés de Rawa-Ruska.
Les anciens de Rawa revendiquent le titre de déportés parce que les conventions de Genève concernant les prisonniers de guerre interdisent la création de camps en dehors des frontières du vainqueur.
Jean de Dinechin, XII, CAM/H