Interview de Nicolas Duchéné

Pont N°18 (2012)

Nicolas du Chéné, XIV, CAM/JE, Lieutenant de vaisseau, est en Nouvelle Calédonie. Il nous décrit les merveilles de cette perle de l’océan Pacifique, aux antipodes de notre métropole, les missions qu’il accomplit  comme pacha de son patrouilleur  au service de la France, et les nombreuses satisfactions qu’un tel métier dans un tel environnement lui apporte. De quoi faire venir l’eau à la bouche de tous les lecteurs !

Il y a quelques années, une carte de la diaspora « Dinechin » avait été publiée dans le Pont. Habitant alors à Tahiti, je crois me souvenir que j’étais le représentant de la famille le plus éloigné de Charlieu. C’est sans doute encore vrai aujourd’hui, mais cette fois-ci depuis la Nouvelle-Calédonie, où je suis installé pour deux ans. Officier de marine, j’ai en effet eu la chance d’être désigné en juillet 2010 comme commandant du patrouilleur de 400 tonnes (P400) « La Glorieuse » basé à Nouméa. Arrivé au terme de cette aventure, je vais tenter de partager avec vous cette « glorieuse » expérience.

La Nouvelle-Calédonie

Tout d’abord, la première question que beaucoup se posent souvent est : La Nouvelle-Calédonie, où est-ce ? Ce doit être minuscule ! Et bien pas tant que ça. Nouméa est effectivement très éloignée de la métropole : 17 000 km de Paris, 24 heures d’avion, 10 heures de décalage horaire. Nous sommes bien aux antipodes. Tout y est décalé, même les saisons ! Néanmoins, l’isolement y est moins marqué qu’à Tahiti par exemple, puisque nous sommes à moins de 1500 kms de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.    

Zones économiques exclusives (ZEE) d’Océanie

Cette collectivité territoriale d’outre-mer, l’une des trois du Pacifique avec Wallis et Futuna et la Polynésie française, est très peu peuplée : 250 000 habitants, soit environ dix fois moins qu’à Paris, pour un territoire vaste comme deux fois la Corse ! La Grande Terre s’étend sur plus de 400 km. Les îles Loyautés à l’Est ne sont pas si petites puisqu’à titre de comparaison, Lifou est plus vaste que la Martinique ou que Tahiti ! Tout est une question d’échelle.

La vie en Calédonie est particulièrement agréable, puisque le climat tropical y est tempéré par l’alizée rendant les températures respirables toute l’année (mais la navigation particulièrement difficile sur un bateau de 55 m !). Les paysages y sont incroyablement somptueux. Le lagon calédonien, le plus grand du monde, est d’ailleurs classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

La Nouvelle-Calédonie est engagée dans un processus d’autonomie inédit, avant une auto-détermination pour l’indépendance qui devra avoir lieu entre 2014 et 2018. Les tensions entre les communautés mélanésiennes et celles issues de la colonisation européenne y sont pour le moment apaisées depuis l’application des accords de Nouméa qui reconnaissent les deux légitimités et appellent les communautés à bâtir un destin commun.

Les missions de la marine en Nouvelle-Calédonie

Depuis la convention des nations-unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de Montego Bay qui confère l’exclusivité de l’exploitation économique des ressources maritimes (poissons, pétrole, etc.) dans une bande de 200 milles nautiques (environ 360 km) des côtes des différents pays riverains, la France s’est vue, grâce à ses territoires d’outre mer, à la tête du deuxième domaine maritime mondial après les Etats-Unis ! Ce sont 11 millions de kilomètres carrés de Zone Economique Exclusive (ZEE), dont 97 % sont liés à nos territoires ultramarins, qui sont ainsi placés sous juridiction française. La France est aussi le seul pays au monde à être ouvert sur les trois grands océans mondiaux, ce qui lui donne une place unique sur l’échiquier international.

Afin d’assurer la surveillance de ces immenses espaces placés sous responsabilité française, la marine dispose de navires basés dans ses différents territoires tout autour de la planète. C’est cette mission de surveillance maritime qui m’a été confiée, à la tête de « La Glorieuse » et de ses trente hommes d’équipage

Mais, que surveille-t-on exactement ? Le Pacifique-Sud, à l’écart des grandes voies de communications, est pour l’heure épargné des activités criminelles, mais est soumis à une forte pression de la pêche illicite. La raréfaction des ressources halieutiques (poissons) dans nos océans « tempérés » et la grande richesse en thonidés du Pacifique amènent toujours plus de navires de pêches, principalement du Sud-est asiatique, grand consommateur de thons, à tenter de piller cette réserve. Cette ressource n’est pas inépuisable et fait l’objet d’une gestion et de règles qui doivent être contrôlées.

Ainsi, avec « La Glorieuse », nous partons régulièrement pour des missions de surveillance de deux à quatre semaines. Nous patrouillons essentiellement dans les ZEE de Nouvelle-Calédonie et aussi de Wallis et Futuna plus à l’Est, à l’affût de palangriers illicites. Notre présence dissuasive est assez efficace puisqu’à l’expérience,  les frontières de nos zones sont pour le moment bien respectées par nos voisins. Je n’ai pas réussi, à mon grand regret, à « attraper » de pêcheurs en infraction dans nos ZEE.

À cette mission principale, viennent s’ajouter des missions de « continuité territoriale » vers les îles françaises isolées. Nous avons par exemple acheminé l’ameublement de la nouvelle prison de Wallis -, des missions de souveraineté principalement vers les îlots de Matthew et Hunter dont la souveraineté nous est disputée par le Vanuatu – ces îlots inhabités, grâce à la règle des 200 milles nautiques, ne sont pas si anodins puisqu’ils étendent de 25 % la ZEE de Nouvelle-Calédonie –, des missions de représentation et de coopération avec les pays riverains, des missions de secours humanitaires après le passage d’un cyclone ou d’un tsunami, ou encore des missions de sauvetage maritime. La palette des missions est ainsi très étendue, et les quatre bâtiments de la marine en Nouvelle-Calédonie sont bien souvent les seuls à pouvoir les remplir.

’ai eu la grande chance de pouvoir au cours de mes missions faire escale dans la plupart des pays riverains de la zone, en abordant des rivages aux noms enchanteurs. J’ai aussi pu rencontrer un certain nombre de personnalités étrangères et françaises comme par exemple le roi de Wallis (le « lavelua »), l’un des trois rois en exercice dans notre République, ou encore d’inviter à déjeuner à bord le ministre des affaires étrangères des Salomon, le président du parlement du Vanuatu, et bien d’autres encore. En dix-huit mois de commandement, j’ai ainsi pu faire escale dans presque tous les pays de la zone : en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux îles Salomon, au Royaume de Tonga, au Vanuatu (ex-Nouvelles-Hébrides), notamment pour le trentième anniversaire de l’indépendance de cet ancien condominium franco-britannique, ou encore à Wallis, à Futuna, ou encore aux îles Loyautés. Ce sont autant d’expériences inoubliables et bien loin des missions habituelles que nous avons l’habitude de conduire en métropole.

La France et l’Océanie

L’Océanie est parsemée d’une multitude d’îles et d’archipels qui constituent des micro-états aux ressources limités et fortement sensibles aux catastrophes naturelles contre lesquelles ils sont souvent bien démunis. Cette zone du monde est en effet particulièrement exposée aux cyclones, aux tremblements de terre, aux tsunamis, et par voie de conséquence à une instabilité politique chronique. Une de nos missions est d’être prêt à porter assistance à ces pays. La France est intervenue à la suite de catastrophe naturelle à de nombreuses reprises ces dernières années, et son action y est particulièrement appréciée.

La France a ainsi su conserver un rôle de premier plan dans cette région du monde. Je poursuis plus particulièrement cette mission depuis que j’ai quitté le commandement de « La Glorieuse » en janvier 2012 au terme de dix-huit mois d’aventures exceptionnelles, puisque j’ai rejoins pour six mois l’état-major interarmées à Nouméa où je m’occupe plus particulièrement de coordonner les actions de coopération et de développement au profit des pays insulaires du Pacifique, au sein d’un forum quadrilatéral regroupant les quatre grands acteurs régionaux que sont les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la France.

Je garderai un souvenir exceptionnel de cette belle aventure humaine, avant de retrouver la métropole, et sans doute dans un avenir plus ou moins proche, les états-majors parisiens.

Nicolas du Chéné, XIV, CAM/JE