Bertrand de Dinechin, XII, CAM/JA, nous livre ici une forte intéressante synthèse de la vie d’André du Ryer, notre ancêtre à tous, personnage hors du commun qui fut un grand serviteur du pays et de la Monarchie.
Né en 1581( ?) au château de la Garde près de Marcigny en Brionnais (Saône et Loire) où il mourut en 1672, André du Ryer, notre ancêtre commun, à la fois homme de Lettres, diplomate et homme de guerre, connut une vie singulière dont la mémoire mérite aujourd’hui d’être rappelée et honorée, notamment à l’heure où le Proche Orient est devenu d’une actualité brûlante. Très tôt en effet, vers l’âge de 14 ans, il rejoint la suite de M. Savary de Brèves, voisin de campagne de ses parents, qui était nommé ambassadeur du roi de France auprès du sultan ottoman à Constantinople. Il y vécut jusqu’en 1632, date de son retour en France dans des conditions extraordinaires.
« Homme de Lettres », André du Ryer le fut d’une manière très spécifique, s’agissant de « lettres orientales ». Il eut en effet la bonne fortune de se former comme interprète au service de l’un des rares ambassadeurs de France de l’époque qui excellait dans les langues arabe et turque en même temps que passionnément féru de poésie orientale.
C’est sous un tel maître qu’il fait son apprentissage et en quelques années, sans doute particulièrement doué, il mit au point une grammaire et un dictionnaire français/turc demeuré manuscrit. Puis il s’attaqua à la traduction du Coran dont il publie la première traduction arabe/français en 1647 (quatre éditions successives) tout en se consacrant à la poésie persane dont il aimait à se réciter en arabe et en français « ces vers embaumés de tous les parfums d’Orient », tel cet aperçu : « …La rosée enguirlande de perles les tulipes du jardin, et la moins belle a les siennes ! Est ce une larme à tes cils ? Est-ce une goutte de lune ? Est-ce un rossignol qui chante ou ton amant désolé ? Les baisers de l’aurore viennent de réveiller la Terre ! J’attends que tu m’arraches aussi de mon néant, et que tu m’inondes de lumière !… ». Il publiera par la suite de nombreux ouvrages, dont notamment celui intitulé « Instructions des Affaires de l’Orient », vaste tableau de la politique de la France en Turquie et dans les Échelles du Levant, à l’usage du personnel diplomatique en poste dans ces régions.
Ce personnel en avait, en effet, grand besoin, en particulier les successeurs immédiats de M. de Savary de Brèves : Jean de Gontaut Biron, Achille de Sancy, Philippe de Césy, Henri de Gournay, comte de Marcheville…Ignorant la langue turque, imperméables à la culture orientale, infatués d’eux-mêmes et des usages de l’Occident, ils commirent mille bévues, dont André du Ryer, en sa qualité d’interprète et membre éminent de l’ambassade, s’efforçait de limiter les conséquences auprès des autorités turques. En voici quelques exemples pittoresques : l’un d’entre eux refusa ainsi de plier le genou devant le Sultan lors de la remise de ses lettres de créance ; un autre, croisant en mer, la flotte des galères commandées par le Capitan Bacha, ne daigna pas lui rendre son salut ; une autre fois, on découvrit une esclave, appartenant à un haut dignitaire turc, cachée dans un bâtiment français en partance, ayant à son bord le fils de l’ambassadeur ; enfin, faute suprême, ayant favorisé étourdiment l’évasion d’un prisonnier de guerre polonais, le général Konispolzki, l’ambassadeur de France du moment fut jeté en prison sur ordre du Caïmacan (Chancelier et ministre de la Justice), y resta quatre mois et dut payer 15 000 piastres pour en sortir.
Mais la situation dépassait parfois notre malheureux interprète en raison d’un grave souci financier attaché à la fonction d’ambassadeur de France en poste à Istanbul : en effet le Roi, faute de moyens, ne le payait pas. Aussi était-il de tradition pour ceux-ci de se rémunérer sur les cargaisons des marchands marseillais à raison de 2% de leur chiffre d’affaires avec la Turquie. Mais ces derniers se soustrayaient volontiers à cet impôt, bien qu’il fut ouvertement reconnu en 1637 par le Conseil d’Etat. Malgré leur bien propre, les dettes accumulées poussaient alors les ambassadeurs à s’engager dans des aventures plus ou moins risquées, comme ce fut le cas de M. de Césy, successeur de Savary de Brèves, dont l’histoire nous est relatée dans une note des Affaires Etrangères de Paris : « Ce nouvel ambassadeur, y est-il dit, se persuada qu’il pourrait gouverner l’Empire ottoman par le moyen des femmes du Sérail mais ne pouvant entretenir son commerce avec ces femmes qu’au moyen de présents continuels et considérables, il contracta des dettes qui, s’augmentant de plus en plus par les emprunts qu’il se trouva obligé de faire sous de gros intérêts, l’accablèrent enfin. Dans la vue de se mettre en état d’acquitter ces dettes, il se rendit fermier de la douane d’Alep envers la Porte ottomane. Mais loin de trouver là une ressource pour le paiement de ses dettes, elle ne lui rendit pas les sommes qu’il s’était engagé de remettre au trésor du Grand Seigneur, et il s’y trouva redevable de 240 000 piastres ». Le Roi, après s’être vainement efforcé d’amener les Marseillais à le secourir, nomma un autre ambassadeur, le comte de Marcheville, dont la première tâche devait être de rembourser les dettes de son prédécesseur. Mais le nouvel ambassadeur dépensa aussitôt l’argent pour son propre compte et s’endetta à son tour, se livrant par surcroît à mille excentricités, si bien que le Sultan, qui ne se pressait pas de le recevoir, s’opposa au départ de M. de Césy et le retint en résidence surveillée. Aussi, de ces deux ambassadeurs, dont l’un n’avait plus le titre officiel et l’autre ne l’avait pas encore, n’ayant pas pu présenter ses lettres de créances, personne ne savait plus au juste qui était le vrai. Im patienté de ne pas être plus vite invité à cette cérémonie de réception, Marcheville prétendit alors exercer ses fonctions sans plus tarder et voulut s’emparer des bureaux et des papiers de l’ambassade, tandis que Césy l’en empêchait de toutes ses forces. Il s’ensuivit une lutte acharnée qui tourna au drame : assaut à l’arme blanche et coups de feu sous le regard méprisant du Turc. Ayant hésité entre faire pendre l’ambassadeur ou incendier l’ambassade, le Sultan fit cependant mettre le feu à la chapelle de l’ambassade à titre d’avertissement ».
Excédé par ce dernier scandale, le Sultan Mourad IV décida de s’adresser directement au Roi de France pour mettre fin aux écarts de conduite de ses ambassadeurs qui nuisaient à la réputation tant de la France que de la Turquie. Pour cela il lui fallait une personne de confiance pour remplir cette délicate mission. Or le seul français qui eut conservé quelque prestige auprès de lui était André du Ryer, connu et apprécié pour ses travaux littéraires et sa réputation. ( En 1627, alors qu’il assumait les fonctions de Consul de France au Caire, il avait été nommé Chevalier de l’Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem[1]). En mai 1632 il le dépêcha donc lui-même à Paris comme s’il était son propre ambassadeur, afin d’exposer au Roi le ridicule et l’odieux de la situation. Et voilà André du Ryer devenu « Ministre Plénipotentiaire » et émissaire du Grand Turc. Le Sultan lui fit remettre les passeports et les lettres de mission nécessaires, ces fameux « Firmans » dont parlent nos archives familiales, l’accréditant de sa part. Nous ignorons comment cette mission fut reçue, la vérité étant difficile à prêcher aux grands de ce monde. Cependant, c’est sur l’intervention d’André du Ryer que fut rendu l’arrêt du 11 octobre 1632, ordonnant des mesures pratiques devant apaiser les créanciers de M. de Césy. Celui-ci resta huit ans encore détenu par le Sultan, avant qu’un nouvel ambassadeur fut envoyé par le Roi avec mandat de le ramener mort ou vif. Celui-ci arriva en janvier 1640, débarqua sans bruit, se rendit à l’ambassade au petit jour, le tira vigoureusement de son lit et le jeta dans le premier bateau en partance pour la France.
Quant à André du Ryer « Homme de Guerre » , il le fut en prenant du service, peu après son retour en France, dans les armées du roi, guerre de Trente ans contre les Espagnols, sous Condé et Turenne, s’y conduisit vaillamment et y reçut plusieurs blessures comme en atteste une requête formulée en 1651 afin de se faire confirmer dans sa noblesse et dans le titre de gentilhomme Ordinaire de la Chambre du Roi que lui avait octroyé Louis XIII en 1630. Sur la fin de ses jours, après cette vie bien remplie, il se retira dans son château de la Garde et s’occupa de l’exploitation de ses terres.
Bertrand de Dinechin, XII, CAM/JA